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Maurienne : les pieds sur terre, la tête dans les nuages

Quand on évoque les vallées savoyardes, une sorte de frisson vient parcourir notre imaginaire…les légendes alpines n’y sont sûrement pas pour rien. En effet, toute une série de légendes relatives aux origines du paysage alpin parcourent notre imaginaire collectif. Ces légendes racontent que jadis, là où s’étendent la neige, la glace et où s’élèvent des parois abruptes, des champs fertiles, des jardins et des prairies accueillantes se dressaient. Or, une action impie (profanation du pain, du lait ou d’autres aliments, hospitalité déniée, désintérêt pour un enfant, etc.) aurait eu pour conséquence l’effondrement de ce jardin d’Eden. La vallée de la Maurienne ne fait pas figure d’exception.


Toutes les légendes de Maurienne s’immortalisent dans le nom même de Maurienne. Les historiens ne savent pas très bien si ce nom dérive de Maurum, noir en latin, en référence à la description topographique de cette vallée austère, encaissée, froide et sans lumière ou de Malus rivus, mauvaise rivière en latin, en référence à la rivière l’Arc, connue pour ses furies mortifères et ses torrents fantasques, qu’il fallait franchir à ses risques et périls pour rejoindre les principales routes transalpines. En effet, durant des siècles, la vallée de la Maurienne resta le principal axe transversal alpin pour rejoindre l’Italie toute proche. Cette route fut empruntée très tôt par Hannibal Barca, célèbre général berbère, lors de la seconde guerre punique qui l’opposa aux troupes romaines. Notons que les carthaginois sont les ancêtres des Maures, voyez ici un autre indice.

Bien qu’il y ait quelque chose d’austère dans le paysage de Maurienne, cette austérité est charmante à l’œil de part la succession des paysages boisés et de marais. Indéniablement, quand nous pénétrons dans la basse-Maurienne, notre regard est porté sur la rive gauche de l’Arc où la Combe de Savoie s’y prolonge et nous ressentons son empreinte, surtout sur les terrasses aux herbes grasses, où le blé, le tabac, la vigne et le maïs, tout comme les peupliers, les saules et les flores des marais, prospèrent par abondance d’eau.


A partir de la Chambre, les plaines alluviales laissent place aux verticalités de la rive droite. L’Arc y a dessiné dans les roches cristallines un goulot d’étranglement où les reliefs aux corniches abruptes, presque menaçantes, courtises en bord de ciel avec des lignes de pâturage et des forêts impénétrables. En amont de Saint-Jean-de-Maurienne, berceau des couteaux Opinel®, les bassins s’espacent de nouveau. Dans cet espace ouvert, des villages authentiques ont colonisés au gré des siècles les grandes pentes abruptes, souvent garnis de dépôts glaciaires, avec un ensoleillement plus important. Dans ces villages se dressent d’authentiques maisons en pierre de taille et toits de lauze. Pour les esprits vagabonds, il est aisé de s’imaginer dans une aventure de Belle et Sébastien. Justement des scènes du film de 2013 furent tournées dans le coin de quoi redonner vie aux villages délaissés par leurs habitants au profit des vallées et de ses usines. Seuls, quelques bergers ont gardé l’habitude de faire pâturer leurs troupeaux durant l’été en altitude sur des chemins de parcours pour profiter des herbages gras et hétéroclites. Toutefois, le réchauffement climatique oblige ces bergers à monter de plus en plus haut pour espérer profiter de la fraîcheur et des herbes grasses, non grillées par les rayons du soleil et la pénurie d’eau.


Entre Saint-Michel-de-Maurienne et Modane, les hautes vallées de la haute-Maurienne conservent un caractère authentique et sauvage avec ses traditions vernaculaires et son folklore. En voici quelques unes, parsemées de-ci de-là. A Bessans, les habitants ont érigé comme totem de leur village un diable à trois cornes en référence à un conflit de 1857 opposant un curé et un chantre, Etienne Vincendet. A Aussois, le pont du diable, perché à 100m de haut au-dessus de l’Arc, enjambe des falaises abruptes et permit aux militaires de rejoindre le fort d’Esseillon et une redoute. A Saint-Jean-de-Maurienne, les mauriennais vouées un culte au génie des montagnes pour qu’il leur apporte protection et bénédiction, lui qui commandait les tempêtes, surveillait les mines et se réservait la chasse aux chamois au-dessus des nuages. A Saint-Léger, une légende raconte qu’une tribu de fées vivait cachée sur les hauteurs de Saint-Sorlin-d’Arves et qu’elles détenaient la recette secrète d’une tomme succulente. Les habitants friands de ce fromage et résolus à faire prospérer leurs troupeaux versaient en offrande du lait aux fées, qu’ils déposaient dans un seau au pied des sources d’eau. Que ce soit le diable de Bessans, le génie des montagnes, le diable bâtisseur, les fées de Saint-Léger, les histoires épiques nous évoquent la magie de ce lieu, et l’impénétrable monde invisible.


Les fées ne sont pas les seules détentrices de secrets fromagers en ces lieux. Entre Aiton et Bonneval-sur-Arc, deux fromages mythiques se succèdent : le Bleu de Termignon et le Bleu de Bonneval. Rien d’étonnant dans ces alpages nourriciers et isolés, fréquentés par des éleveurs de brebis et de vaches à la recherche d’une flore abondante et spécifique en été. Ces deux produits laitiers, initialement obtenus par mélange de laits de vache et de brebis, ont toujours été la richesse économique du secteur et fait de ces villages des localités célèbres. Bien moins connus, ces alpages sont à l’origine du ski et du snowboard. En effet, durant plusieurs siècles, durant la saison de ramasse, les producteurs mauriennais descendaient leur fromage des alpages sur une luge, en glissant sur leurs talons le long des rudes pentes de neige.


Vous remarquerez que la magie de la vallée de la Maurienne ne tient pas uniquement à l’invisible mais aussi au visible, notamment à la succession de trois terroirs singuliers et distincts, répartis sur 125 kilomètres de long et bordés au nord par le massif de la Vanoise et les chaînes de la Lauzière et du Grand Arc, et au sud par les Alpes grées, le massif du Mont-Cenis, des Cerces, des Arves, des Grandes Rousses et de Belledonne. Selon l’historien Jean Dompnier, « il est assez facile de mettre en avant des coupures du relief dans cette vallée […] où alternent ombilics et verrous glaciaires, c’est plus hasardeux sur les plans historique, économique et administratif ».

Bien que l’on ne puisse réduire la Maurienne à ce tracé pittoresque de 125 kilomètres qui longe l’autoroute A43 Lyon-Turin, je vous invite à prendre de l’altitude et à monter en direction des cols du Galibier et du Lautaret célébrés lors de mythiques courses cyclistes. Pour cela, empruntez la D902 qui rejoint Saint-Michel-de-Maurienne et un charmant petit village Valloire juché dans une vallée bucolique. En poursuivant votre route, dès les granges du Galibier (2000m d’altitude), vous pénètrerez dans un espace sauvage, minéral, inspirateur, qui vous évoquera le calme et la sérénité. Vous constaterez alors les effets de l’altitude sur la flore, la faune, votre corps et votre esprit. La Valloirette draine dans son sillage de vastes étendues désertiques, vides quasi lunaires derrière la zone cristalline, réapparues après le recul des glaciers alpins. Les forêts et les pâturages, presque absents, se dissimulent derrières des affleurements de schistes et des ravinements rougeâtres. Je ressentais dans ces lieux le combat infini entre la minéralité et la végétation, entre le Paradis et l’Enfer. Laissons le vent arbitrer ce choc titanesque et nous transporter vers un état méditatif, exquis et enchanteur.

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