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Fromages lyonnais : chronique fromagère au Carreau

Dernière mise à jour : 10 juil. 2023

Je prends le train de minuit, et plus rien ne m'entrave. Bohémien sans frontière, sauf celle de l’esprit, je laisse glisser sur moi les songes crépusculaires. A la brune jusqu'à l'aurore, étoile filante dans la nuit, cheminement solitaire à très grande vitesse pour songeur contemplatif. L'horloge tourne à rebours et le train s'arrête en Gare de Perrache, le 8 décembre 1969. Dans ce wagon pour trouble-fête se retrouve les insurgés, des hommes et des femmes militants qui n'ont pas perdu l'âme de s'amuser et de s'enivrer sous des sonorités rock'n'roll.

Dans cette gare, une odeur familière aiguise mes sens et me captive ; elle provient du quartier du Carreau, au sud de la Gare. Au détour d'une rue, celle qui porte nom de Marc Seguin, en souvenir de celui qui en 1832 inaugura la première ligne ferroviaire de voyageurs entre Lyon et Saint-Etienne, se trouve le dédale ferroviaire dédié au fret, les entrepôts de la Société Française de Transports et Entrepôts Frigorifiques et le marché-gare. Mais ce n'est pas tant l'agitation habituelle de ces hauts lieux de négoce, ni les moyens de télécommunications "modernes" qui attisent ma curiosité, mais bien l'odeur fromagère enivrante qui me rappelle un autre Seguin, le personnage secondaire de la saga d'Alphonse Daudet. Je tourne la tête et me trouve dans le royaume des grossistes fromagers de Lyon. Il est 5h30 du matin et les bâtiments des familles Janier, Ramay, Piollat, Lachaume, Thévenard et Brun sont déjà éclairés. Les dépôts sont exiguës juste de quoi remiser les marchandises le soir et accueillir les clients. Plus loin, les employés de la Société des Entrepôts Frigorifiques Lyonnais et la quinzaine de fabricants de glace s'activent autour d'un wagon frigorifique à double parois pour décharger au plus vite les fromages et ainsi ne pas perdre le bénéfice du froid.

Sur le carreau, dans le bâtiment dédié aux crémiers-fromagers, se trouvent amassés sur des paillons et des cagettes en bois une multitude de trésors aux saveurs multiples ramassés sur les routes riveraines ou acheminés par voies routières, ferroviaires et plus anecdotiquement par voie fluviale. Les fromages nationaux et principalement locaux, tant convoités, sont également là, devant moi. Dans une ambiance conviviale, chaleureuse et bonne enfant, mais toujours avec du respect, les négociants escortent les détaillants et forains puis chargent à bout de bras les marchandises sélectionnées et achetées par ces derniers dans les camionnettes qui patientent à l'extérieur. Je m'arrête successivement devant ce magot pour maraudeur ripailleur. Ici, on peut apercevoir :

Cervelle de Canut ou claqueret lyonnais : une préparation fromagère à base de caillé de chèvre ou de vache issu du fromage local (Rigotte, Saint-Marcellin, Picodon, etc.), de ciboulette, d'ail, de vinaigre, d'huile, de sel et de poivre. Son nom fait bien évidemment référence aux tisserands de la soie qui travaillaient sur les pentes de la Croix-Rousse et se déplaçaient, à l'aulne de leur vie, avec des cannes dépourvues de pommeau ("ah tiens, voici les cannes nues" donnant plus tard "ah tiens, voici les canuts"). Ses ouvriers de la soie étaient auparavant des ouvriers agricoles qui ont fui la misère des campagnes. En venant travailler sur Lyon, ils ont transmis leurs recettes campagnardes aux cabaretiers des bouchons lyonnais, nom qui fait référence à la botte de rameau ou de branchage de lierre ou de genêt accroché à la porte d'entrée et permettant aux Canuts de les distinguer (bouchon diminutif de bousche en vieux français et décrivant cette branche de pin que les cabaretiers suspendaient en guise d'enseigne à leur porte). Les Canuts, qui commençaient leur travail très tôt le matin, avaient pour habitude de se retrouver en ces lieux vers 9-10h pour consommer un en-cas souvent composé des restes de la veille ; la Cervelle de Canut constituée l'essentiel de leur repas ordinaire. Autour de ce casse-croûte improvisé, ils pouvaient ainsi se retrouver entre pairs et parler affaire. Cette habitude culinaire fut conservée par les employés du marché des fromagers, qui pouvaient ainsi se restaurer à 7-8 heures du matin après une mâtinée éreintante. Or, les mâchons ont quelque peu perdus leur origine plébéienne lors du déménagement des Halles de Lyon du quartier de Cordeliers vers la Part-Dieu. Toutefois, la Cervelle de Canut a su conserver ses racines populaires à travers son étymologie. En effet, en transmettant leurs recettes d'enfance et en inscrivant leur filiation dans le nom de cette préparation fromagère, les tisserands ont affiché leur marqueur social par opposition à la Cervelle d'agneau consommée par les riches propriétaires. Autrement dit, au-delà de décrire une préparation fromagère de couleur blanche et fragile, métaphore des circonvolutions et de la mollesse de l´encéphale, la Cervelle de Canut restera dans la pensée collective le corrélatif prolétaire de la Cervelle d'agneau. Quant au terme de Claqueret, il évoque le fromage blanc qui claque contre la vaisselle, si bien il est battu. Enfin, puisque chaque ferme avait sa propre recette de Cervelle de Canut, une légende attribue l'harmonisation et l'adaptation de la recette aux palais sourcilleux à Paul Lacombe, chef du restaurant Léon de Lyon, dans les années 1930. Rappelons enfin que le Rhône n'est pas l'unique département servant une recette fromagère à base de caillé au cours du repas, d'autres régions en disposent : le chique dans les Vosges, le bideleskäs en Alsace, le Claquebitou en Bourgogne, le Caillé pourri de la Bresse, la Tome aigre de l'Ardèche, le Caillé grand-mère de la Loire, le Sarasson forézien...


Saint-Félicien : contrairement à ce que nous pouvons lire régulièrement sur Internet, ce fromage, le plus lyonnais des frometons, ne doit pas être confondu avec son homonyme le Caillé doux de Saint-Félicien du village éponyme d'Ardèche. En effet, ces deux fromages n'ont que le nom de commun. Revenons aux racines du Saint-Félicien lyonnais. Au milieu du 20e siècle, 14 fromagers étaient installés sur Lyon et menaient une rude bataille pour gagner la faveur des clients. Pour se démarquer de ses confrères, un détaillant en fromagerie de Villeurbanne du nom de Marius Boucher eut la brillante idée de créer un fromage en mélangeant sa crème invendue de la veille avec ses fromages au lait de vache et ainsi valoriser les produits et limiter les pertes. Satisfait du résultat, il l’aurait commercialisé et protégé en déposant la marque le 6 novembre 1956 (dépôt de marque n°30269) auprès de notables lyonnais spécialisés sur les questions liées à la propriété intellectuelle. Seulement, pour qu’il y ait une marque, il fallut baptiser cette création. C'est ainsi qu'il nomma ce fromage du nom de sa mère, Félicie, ou de son oncle, Félicien, sans référence aucune au village éponyme. Pour ce qu'il est de l'apostrophe divine, c'était, selon son auteur, une astuce marketing visant à optimiser les ventes de ce nouveau produit. En 1958, Antoine Fuster racheta la fromagerie de Marius Bouchet et devint PDG de la société « Ets Fuster & cie ». Fort de ses compétences en marketing, Antoine Fuster développa la fromagerie et fit connaître le Saint-Félicien au-delà des frontières du bassin lyonnais à coup de publicités. Cette notoriété gagnée se traduisit par un accroissement des ventes. Véritable best-seller de la fromagerie, représentant 70-80% de la production, Antoine Fuster fut contraint de déménager la fromagerie à Vaulx-en-Velin et de renouveler la marque « Saint-Félicien » le 14 octobre 1971 (dépôt n°38498). Durant quasiment un demi-siècle, de nombreux fables couvrirent le Saint-Félicien d'une mythologie, fortifiant, d'une part, les ventes et, d'autre part, préservant ses auteurs de toute entreprise judiciaire en détournant l'attention des esprits chicaneurs. Fort heureusement pour Messieurs Marius Bouchet et Antoine Fuster aucun procès n'eut lieu car il n'existait aucune fromagerie installée antérieurement au village ardéchois qui pouvait revendiquer la paternité du nom. En 1990, l'entreprise de Fuster fut rachetée par Alain Cellerier sous l’enseigne « les fromagers de Lyon ». Proche cousin du Saint-Marcellin, le Saint-Félicien est enrichi en crème et moins affiné. Ce fromage plus crémeux développe donc des arômes plus doux.


Pour les lecteurs méfiants et questionneurs (et vous avez bien raison de l'être ! Il est important d'éprouver les sources), nourris aux mythes et légendes autour du Saint-Félicien, l'ensemble des informations fournies dans cette partie ont été collectées grâce à l'investigation opiniâtre et rigoureuse d'un fromager viennois, que je ne citerai pas ici par souci de discrétion, mais à qui j'adresse toute ma sympathie et mon admiration. La source des informations fournie est facilement consultable auprès de la Chambre de l'Agriculture iséroise (interview de Monsieur Antoine Fuster du 22 juin 2017).


Régal sans-souci : marque commerciale rappelant le Saint-Félicien, ce fromage, fabriqué à partir de lait de vache collecté dans les Monts du Lyonnais tous les matins, était affiné à la lyonnaise dans les caves de la laiterie artisanale de Sans-souci, situé au 22 rue David à Lyon 3. Son nom fait bien évidemment référence au quartier éponyme pour rappeler son berceau d'origine. Une belle pellicule de levures (Geotrichum) et de moisissures (Penicillium) masquait une pâte jaunâtre. Or, en 2009, son propriétaire Georges Garnier, alors âgé de 58 ans, dû déposer le bilan de sa fromagerie artisanale après des litiges avec la propriétaire des murs de la fromagerie qui refusait d'effectuer des travaux de toiture. Malgré la volonté de l'association Slow food Lyon de venir en aide à cette fromagerie, celle-ci dû définitivement fermée ses portes en 2012 et transmettre la recette de son Régal sans-souci à l'Abbaye trappiste Notre-Dame des Dombes à Plantay dans l'Ain, fille de l'Abbaye Notre-Dame d'Aiguebelle.


Rogeret de Lamastre : fromage au lait de chèvre et/ou de vache originaire de l’Ardèche du Nord, au pied des monts du Vivarais, et dont le nom évoque la couleur "rouge" des pigmentations de moisissures qui se développe sur sa croûte et marque un affinage dans des caves naturelles et rocheuses des environs. Sa pâte est crémeuse et délicate, avec des arômes fruités, proche d'un Pérail d'un Caillé doux de Saint-Félicien ou d'un Pélardon AOP.


Saint-Marcellin IGP : ce fromage dauphinois au lait de vache à pâte molle et à croûte fleurie, de format cylindrique et plat, tire son nom du village éponyme situé au pied de la citadelle du Vercors, dans la Drôme. A l'origine, le Saint-Marcellin était un fromage fabriqué en fonction des saisons à partir de lait de vache, de chèvre, en proportion différente en fonction de la disponibilité du lait. Au gré des siècles, il devint exclusivement fabriqué à partir de lait de vache puisque la boisson ovine était disponible quasiment toute l'année en quantité suffisante pour répondre aux besoins des consommateurs lyonnais et surtout parce que la chèvre fut interdite au 13e siècle en Isère pour permettre le reboisement des massifs isérois. Initialement, ce fromage domestique séché dans des tommiers (séchoirs à noix rangés dans des paniers suspendus aux quatre vents) était consommé sec ou mi-sec. Seulement, suite à une erreur d'affinage, des Saint-Marcellins avec une "peau de crapaud" furent vendus sur les marchés Lyonnais. C'est ainsi que l'affinage crémeux, dit à la lyonnaise, devint populaire. En 1965, Renée Richard, figure charismatique des Halles de Lyon, muse de la gastronomie lyonnaise et confidente des chefs, surnommée affectueusement "la Mère Richard" par Paul Bocuse, se spécialisa dans l'affinage et la vente de ce petit fromage adopté par les lyonnais. Aujourd'hui, les Saint-Marcellin de la Mère Richard sont fabriqués par "L'Etoile du Vercors" de Jean Berruyer, racheté en 2011 par Lactalis. Aujourd'hui, le Saint-Marcellin IGP dénombre 6 producteurs fermiers (Ferme de Plantimay, Fromagerie Ezingeard, GAEC Ferme des Essarts, GAEC Ferme de Miri’Bêle, GAEC Ferme de Roche Rousse, Ferme de la Grande Mèche), 9 manufacturiers (Ferme du Sabot, Ferme de la Bourrière, Etoile du Vercors, Fromagerie Alpine, Fromagerie du Dauphiné, Fromagerie Rochas, Fromagerie Le Murinois) dont 2 coopératives (Vercors-lait, Eurial prochainement racheté par l'entreprise nantaise Beillevaire).


Gros-Roman : marque commerciale apposée sur un fromage au lait de vache à pâte molle et à croûte fleurie, ressemblant à un Saint-Marcellin mais de plus gros format. Son nom fait référence à la ville de Romans-sur-Isère, chef lieu de canton du département de la Drôme. A l'origine fermier et au lait de chèvre, ce fromage est devenu au gré du temps un fromage au lait de vache poussé par des besoins de rentabilité et de volume des industriels.


Caillou du Rhône : fromage sec en forme de palet au lait de vache et/ou de chèvre. Cousin germain du bouton de culotte, du bouchon lyonnais de chèvre ou du graviers du Guiers, il se consomme après 15-40 jours passés en séchoir, après quoi il devient ainsi dur comme de la pierre et était consommé en pays Mâconnais, Beaujolais, Lyonnais et dauphinois. Son nom fait référence au gros caillou de la Croix-Rousse déposé à cheval sur les pentes et le plateau de la Croix-Rousse lors de la glaciation de Riss. Là, il domine la ville et témoigne de la persévérance des lyonnais face aux obstacles. Dans une toute autre symbolique, le fromage rappelle la persévérance du Petit Poucet à vouloir retrouver son chemin.


Arômes de Lyon aux gênes de raisin : fromage au lait de vache et/ou de chèvre, tels que des Picodon AOP, des Rigotte de Condrieu AOP, des Saint-Marcellin IGP, à pâte molle et à croûte fine couverte de gênes de marc de raisin. Son histoire est liée à la nécessité de conserver les aliments par la méthode de sur-fermentation à une époque où les réfrigérateurs étaient anachroniques. Afin d'obtenir un résultat optimal, les fromages invendus étaient disposés en quinconce et en couche successive dans des pots en grès. Entre chaque couche de fromages étaient placés des gênes de marc de raisin (résidus de raisins pressés), constitués de pépins de raisin, de rafles et de résidus de peaux. Ainsi, les fromages poursuivaient leur macération lente durant 3 semaines à 1 mois, privés d'oxygène et préservés des agents contaminants extérieurs. Baignant dans un jus alcoolisé, les fromages révélaient des effluves éthyliques et une puissance caractéristique des fromages de caractère.


Séchons de vache et/ou de chèvre : aujourd'hui fierté du Dauphiné drômois, du Charolais et du Brionnais, le séchon est comme la plupart des fromages secs une manière de valoriser des fromages invendus et/ou inesthétiques . Généralement, les lyonnais consommaient de septembre à décembre des fromages au lait de chèvre et plus rarement des fromages au lait de vache séchés traditionnellement aux quatre vents dans "chazières" ou "tzézires" (sortes de cages à fromages) et contemporainement sous des ventilateurs dans une ambiance fraîche. Les fromages développaient alors un piquant et chauffant ainsi qu'une saveur acidulée caractéristique et accompagnaient des salades pour les amateurs de fromages au goût affirmé.


Brique du Forez : appelé anciennement Chèvreton des Monts du Forez ou Chèvreton du Livradois, ce fromage à pâte molle à croûte naturelle très fine, blanche et poudreuse, légèrement plissée, traditionnellement fabriqué à partir de lait de chèvre et/ou de vache, en fonction des saisons. son format suggère un fromage d’invention récente, quasiment industrielle, il n’en est rien puisque la Brique du Forez reste un fromage traditionnel dont la forme et le nom évoque la brique de terre cuite. Ce fromage initialement fabriqué suivant une technologie de caillé doux lui conférant une texture moelleuse est depuis 10-20 ans fabriqué suivant une technologie lactique lui conférant un cœur ferme enrobé d'une couronne de crème aux arômes de lait chaud et de noisette. Son nom évoque la partie orientale du massif du même nom, entre Roanne et Saint-Etienne, entre les Monts du Forez et les Montagnes du matin, et son histoire est intimement liée à celle de la Fourme de Montbrison. En effet, les femmes et enfants fabriqués dans les jasseries en estive de la Fourme de Montbrison et de la Brique du Forez avec l'excédent de lait. Ce dernier était destiné pour leur consommation domestique. Toutefois, depuis quelques années, la Brique du Forez est en péril puisque seuls 5 producteurs la fabriquent encore.


Rigottes de Condrieu AOP, d'Echalas, de Pélussin, des Monts du Lyonnais : le nom de Rigotte évoque, suivant deux racines distinctes, la Rigole, qualification franco-provençale et auvergnate attribuée aux ruisseaux dévalant le massif du Pilat, ou la Ricotta, en référence au procédé italien de recuite révélant ainsi l'influence italienne régionale que l’on retrouve en Bresse, dans le Vercors et dans le pays de Gex. L'authentique Rigotte de Condrieu AOP, apparue avant la Révolution française, a engendré de nombreuses variantes détenues par des laiteries industrielles et artisanales aux noms complétés du blason des villages éponymes où elles étaient produites. L'authenticité de la Rigotte de Condrieu et sa confection exclusive à partir de lait de chèvre expliquent pourquoi ce fut la seule qui obtint les labels AOC et AOP. La Rigotte de Condrieu ressemble à un petit palet épais à la forme et à la croûte irrégulière. Ce petit fromage est vendu par piles d'une quinzaine sur les marchés lyonnais après 8-10 jours d'affinage minimum.


Pierre dorée du Beaujolais : marque commerciale française détenue par l'Union des Sociétés Coopératives Fromagères Françaises (anciennement société Bourdin) représentée par la coopérative agricole de Valcrest à Givors. Avant de devenir une marque déposée, c'était un fromage au lait cru de chèvre et/ou de vache à croûte fleurie de forme tronconique et sec dont la couleur rappelait les pierres dorées des bâtisses du Bas-Beaujolais entre Tarare et le Villefranche-sur-Saône. Cette coloration survenait après un séchage forcé, durant lequel on diminuait progressivement la température sur 4-5 jours afin de favoriser le développement d'une fleur blanche sur un fond oxydé brun. Généralement consommé affiné avec de l'eau-de-vie, ce fromage développe des arômes de surface caractéristique des jus de pomme.


Ramequin du Bugey : cette spécialité bugiste désigne à la fois un fromage très affiné, sec et puissant, et une fondue consommée dans le Bugey et particulièrement dans le canton de Saint-Rambert-en-Bugey. Le fromage est initialement fabriqué à partir de lait écrémé et affiné en pot en grès. Il constituait, comme la plupart des fromages rustiques la "viande du pauvre" des locaux. Ce fromage était ensuite stocké en caisse durant 15 jours dans une ambiance très sèche afin qu’il développe une croûte ocre avec une fine pellicule de moisissures. Passé cette quinzaine, il était brossé à l’eau toutes les semaines et affiné durant 3 mois. Dès que le fromage prenait une teinte brune translucide, il pouvait être mis à disposition des clients. Il possédait alors un goût puissant sans amertume. Dès lors, l’amateur bugiste exilé sur Lyon pouvait le couper en lamelles, le verser dans un poêlon contenant un peu de beurre fondu, une gousse d’ail, du Gamay du Bugey et de l’eau chaude. Au cours de son histoire, le ramequin du Bugey faillit disparaître à de nombreuses reprises. Tout d'abord, en raison de l'exclusive propriété de la recette par Paul Gonin puis Didier Duval. Ensuite, en raison de la méconnaissance de ce produit en-dehors de son territoire de consommation. Néanmoins, grâce à la volonté et l'opiniâtreté de quelques défenseurs, tels Franck Boivin, Frédéric Bussy ou Emily Manos le Ramequin du Bugey vit de nouveaux jours heureux. Ce produit est aujourd'hui commercialisé par le GAEC Les Perce-Neige de la commune d'Arandas, la fromagerie de Saint-Rambert-en-Bugey et la fruitière d'Aranc dirigées par Franck Boivin et la laiterie artisanale la Côtière à Meximieux détenue par Frédéric Bussy.


Fromage fort de la Croix-Rousse : aussi nommé Confit d’Epoisses dans le Morvan, Cancoillote en Franche-Comté, Pourri bressan dans la Bresse, Tracle dans le Bugey, Tomme forte en Savoie, Pétafine dans le Dauphiné, Foudjou dans la Drôme et le Vivarais, Bosson macéré en Ardèche, Miromando en Haute-Loire et en Lozère, Cachat ou Cachaille dans le Gard et le Vaucluse, Broussi dans les Bouches-du-Rhône, Coussignous dans le Var, Brous dans les Alpes-Maritimes, Casgiu merzu en Corse, Rebarbo dans le Languedoc, Séras en Aveyron, Fourmagée, Froumagée ou Fourmaigée dans le Perche ornais, Bouine dans la Sarthe, Fort de Béthune en Thiérache et dans le Pas-de-Calais, Foune dans les Bronzés font du ski...il consiste à accommoder, valoriser et recycler les restes de fromages (fromage raté, reste domestique, fromage passé, fromage trop frais, fromage trop dur) afin de conserver les nutriments essentiels. La recette consiste à coupé, broyé ou écrasé la tomme et d'y ajouter de l'eau (eau-de-vie, alcool) afin de déclencher une fermentation alcoolique qui va digérer la matière et la rendre pâteuse pour "faire manger du pain" et avoir l'estomac plein selon une expression populaire au XIXe siècle. Généralement, leur consistance est pâteuse, presque liquide et l'odeur est puissante, quasiment alcoolique, variant du beige au jaune. Puisque je n'ai aucun secret pour vous, cher lecteur, voici la recette du fromage fort de la Croix-Rousse : mélanger dans un pot en grès ou en terre cuite des fromages secs de chèvres et de vaches locaux (Saint-Marcellin, Rigotte, Pierres-dorées, Caillou du Rhône) broyés avec un bouillon de poireaux, du beurre ou de la crème, du sel, du poivre et du vin blanc jusqu'à l'obtention d'une pâte. Une semaine plus tard, y ajouter 10cl de marc de Bourgogne ainsi que du caillé frais égoutté et conserver le pot dans un endroit sec à une température ambiante, ni trop chaude, ni trop froide, soit environ 10-12°C. Laisser macérer 15 jours. Une fois la consistance voulue obtenue, ne jamais vider le pot pour conserver la mère de fromage fort. Les ingrédients complémentaires (croûtes de fromages, restes de fromages, etc.) viendront nourrir la "bête". Généralement, cette préparation est servie en fin de repas et consommée avec du pain et un vin rouge puissant ou de l'eau-de-vie. Toutefois, dans la Bresse, les anciens le consommaient sur des gaufres chaudes de sarrasin et dans le Dauphiné, ils le consommaient gratiné au four sur des pommes de terre. Effet séduction garanti ! Toutefois, pour les plus courageux, sachez que la vente de fromage fort accompagné d'hôtes encombrants (asticots) est strictement interdite en France. Vous pourrez en consommer en Sardaigne où la pratique est encore tolérée ou dans certaines fermes sous conditions que la consommation ne fasse pas l'objet d'un échange financier.

Puisque ce mois de décembre s'amorce déjà avec son lot de surprises et de magie fromagères et que ce soir nous pourrons déposer nos lumignons à nos fenêtres pour remercier la grâce humaine. J'espère que cet article vous donnera envie de découvrir ou de redécouvrir ces fromages de notre humble terroir, au carrefour de provinces rurales opulentes. Les terroirs voisins, si plantureux, "clefs d'une géographie des fromages en France", marquent de leur sceau la multitude des spécialités fromagères lyonnaises. Si ces fromages vous déplaisent et que cet article ne vous a pas convaincu à suspendre votre itinéraire pour vous arrêter dans notre belle ville, peut-être que d'autres spécialités, tels que la quenelle, la salade lyonnaise, les cardons, les grattons, le saucisson pistaché lyonnais, le cervelas, la rosette de Lyon, le jésus, le fromage de tête, l'andouillette lyonnaise tirée à la ficelle, les pommes dauphines ou le tablier de sapeur, vous pousseront à le faire. Ainsi, tous ces plaisirs culinaires lyonnais vous inviteront à vous remémorer la célèbre formule de Curnonsky (1935), Lyon "Capitale Mondiale de la Gastronomie".


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