Dans la famille des brebis à faible effectif, je vous propose de partir à la rencontre de la Thônes et Marthod. La race Thônes et Marthod est une race ovine rustique, locale et traditionnelle des deux Savoie et d’Isère. Son nom fait référence aux deux villages, Thônes (dans le massif des Aravis en Haute-Savoie) et Marthod (dans le Val d’Arly en Savoie) où cette brebis fut étudiée dans les années 1930. Cette race serait parente avec les races balkanaises (Hongrie), les races suisses (Valais, Tyrol) et les races méditerranéennes introduites en Savoie lors de l’unification du Royaume du Piémont Sardaigne. Toutefois, si l’on retrace les archives on constate que cette race était présente sur tout le territoire savoyard et isérois, au-delà des limites territoriales de ces deux villages, avant la période de recensement. Pour ainsi dire, chaque vallée possédait son propre cheptel ovin avec ses caractéristiques et ses attributions propres. Les échanges commerciaux du XIXe siècle et les déplacements d’estive et d’hivernage ont conduit à une fusion des races au point que les deux rameaux s’unirent dans les années 1930 pour aboutir à cette dénomination récente. Seulement, nous préférons évoquer dans cet article le nom de brebis savoyarde pour soutenir l’ancrage culturel et patrimoniale de cette population. En effet, autrefois, on raconte qu’elle logeait dans les caves à Reblochon afin de maintenir les caractéristiques d’ambiance d’affinage constants tout au long de l’année (taux d’hygrométrie et température). De plus, elle participa, tout comme ses semblables vaches et chèvres, au défrichement et à l’entretien des espaces herbagers de haute-montagne.
Cette brebis savoyarde est aujourd’hui présente essentiellement en moyenne et haute-Maurienne et dans la région de Thônes. Vous la reconnaîtrez car elle présente une toison blanche jarrée avec des mèches blondes et bouclées, un toupet ébouriffé, des cornes horizontales spiralées et surtout des lunettes et des chaussettes noires caractéristiques, tout comme le bout de son museau et ses oreilles. Le noir de ses extrémités lui permettrait de maintenir sa chaleur corporelle aux extrémités à une valeur vitale en captant les rayons lumineux sans que ceux-ci ne grillent leurs yeux.
La Thônes et Marthod est une brebis mixte, allaitante, laitière et lainière. Premièrement, ses aptitudes laitières restent exceptionnelles avec une production d’1-1,5 litre de lait par jour, des taux de matière grasse de 63-75 g/kg généreux, des taux de matière protéique de 53-57 g/kg fromageables, durant 150-196 jours de lactation d’avril à octobre. On raconte que son lait gras mélangé avec celui de chèvres et de vaches servait à produire le Bleu de Termignon, fromage légendaire de Haute-Maurienne. Deuxièmement, ses aptitudes bouchères sont reconnues par les amateurs comme offrant une viande goûteuse mais mal conformés puisque peu reconnue par les bouchers. Enfin, ses aptitudes lainières permettent de renforcer la production lainière française.
Cette brebis s’est particulièrement adaptée au climat savoyard et à son environnement de haute-montagne, qui sont décrits comme étant extrêmes (pluviométrie de 800mm, brusques variations de température passant de 0/7 à -20/-30 •C en quelques heures). En effet, en tant que bonne marcheuse, elle parcoure aisément et librement les alpages (au-delà de 1500m d’altitude) en été, aussi bien les sommets secs que les combes verdoyantes. En hiver, elle supporte les longues stabulations en étable de part sa docilité et son caractère paisible.
Seulement, au-delà ses aptitudes d’élevage, les politiques de dépeuplement des alpages et de standardisation des espèces d’après-guerre sous-tendus par l’exode rural et le productivisme, la problématique foncière savoyarde et la présence de prédateurs protégés (loups, lynx) sur le territoire, ont entraînés un déclin progressif des effectifs, au point que l’on dénombra seulement 2500 brebis Thônes et Marthod dans les années 2010. Toutefois, grâce à l’engagement de 10 producteurs passionnés qui ont créés en 1992 une association de soutien de la race transformée en organisme de sélection génétique, cette race fut sauvegardée. Cette initiative à son importance fromagère car cette race valorise bien la richesse floristique des pâturages d’alpage et son lait aux caractéristiques exceptionnelles permet de produire des produits laitiers au goût authentique et hautement qualitatif. Vous trouverez chez les producteurs ou sur le marché des yaourts, des fromages lactiques (frais, mi-secs, secs), des tommes, des fromages à pâte persillée et du sérac. Si vous l’apercevez, arrêtez-vous et aller à la rencontre de ces éleveurs passionnés qui maintiennent cette race afin qu’elle ne disparaisse pas. Vous en serez récompensés en savourant le fruit de leur travail !
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