Loi Duplomb : le dialogue fictif
- Cyril Jacquot
- 23 juil.
- 6 min de lecture
Dialogue fictif entre Thierry, agriculteur âgé de 42 ans et défenseur de la loi Duplomb, et Éléonore, étudiante de 23 ans en Master 2 Qualité, Sécurité et Environnement / Responsabilité Sociétale des Entreprises et opposante à la loi Duplomb :
Éléonore : tu as vu, la pétition sur le site de l'Assemblée nationale dépasse le 1,5 million de signatures, la loi a Duplomb dans l'aile...
Thierry : cela ne me réjouit pas
Éléonore : pourquoi ça ! D'habitude, tu es le premier à être favorable aux initiatives citoyennes autour de l'écologie et d'une agriculture plus durable...enfin, dans le cas présent, les citoyens se mobilisent pour la santé, l'environnement et l'agriculture, tu devrais au contraire t'en réjouir...
Thierry : tu sais bien que notre modèle agricole français exceptionnel est menacé. La concurrence déloyale d'autres producteurs mondiaux moins regardants sur les risques écologiques, environnementaux et humains nous menace. J'estime que si nous voulons maintenir notre modèle agricole français sur la scène internationale ou nationale, cette loi est nécessaire. La mondialisation et la quête incessante de prix bas par le consommateur menace nos exploitations agricoles. Regarde, en l'espace de 10 ans, des dizaines de milliers d’exploitations en France ont fermé faute de repreneur et de rentabilité
Éléonore : la rentabilité, on s'en fout. Ce qui compte c'est l'écologie et la santé des consommateurs. Tu te rends compte que cette loi autorise la réintroduction de l'acétamipride, un pesticide néonicotinoïde controversé qui a des impacts sur la santé humaine et tue les abeilles. C'est une véritable catastrophe écologique !
Thierry : cette pétition a été lancée par une étudiante de 23 ans éloignée des réalités de terrain. Elle a été signée par 1,5 millions de citoyens certes mais ces citoyens proviennent-ils du monde agricole ? Nous, nous sommes 380 000 en France, soit moins de 1% de l'électorat. Cette loi a été écrite suite à nos revendications de 2024 pour un allégement des contraintes administratives, environnementales et économiques. Pour une fois que le législateur nous écoute, des citoyens s'opposent à nos revendications. Sache que derrière chaque exploitation, il y a des familles, des enfants, des dettes, des rêves aussi
Éléonore : oui mais la loi Duplomb profite surtout aux grandes fermes capitalisées et intégrées aux filières agroalimentaires et moins aux petites fermes, locales qui travaillent en direct
Thierry : pourquoi tu penses réellement que, puisque j'ai une petite exploitation et que je travaille en direct, je ne cherche pas à réduire mon temps administratif...je passe déjà trop de temps à remplir de très nombreux formulaires, documents administratifs mais aussi à répondre à des normes environnementales parfois qui n'ont ni queue ni tête. Tout cela pour gagner les meilleurs mois l'équivalent d'un SMIC et les mois les moins productifs moins. Tu sais, mon exploitation est sous perfusion des aides de la PAC, je recherche comme tout chef d'entreprise à rendre mon exploitation rentable
Éléonore : certes, mais cette loi va véritablement à l'encontre des principes de précautions en termes de santé, d'environnement. Il en va de notre responsabilité pour les générations futures. De plus, elle a été adoptée à l'Assemblée nationale et au Sénat sans véritable débat démocratique. Aujourd'hui, malgré cette pétition, Yaël Braun-Pivet, la Présidente de l'Assemblée nationale, nous dit qu'elle ne sera pas revotée, uniquement débattue à l'Assemblée. C'est un véritable déni de démocratie !
Thierry : et tu penses qu'abroger une loi parce que plus 1,5 millions de signataires (3,42% de l'électorat) est la preuve que notre démocratie se porte bien ! La véritable solution serait de faire un référendum sous condition sue l'ensemble des citoyens aient accès à une information juste, honnête et impartiale. La seule chose que provoque cette pétition est une opposition entre le peuple et le monde paysan, stigmatisé, dénigré, blâmé. C'est du populisme et de la démagogie ! Je suis, comme beaucoup de mes confrères, favorable à une agriculture plus durable. C'est évident, c'est même du bon sens ! J'y consacre ma vie entière car le respect de nos terres, de notre biodiversité, de nos animaux est à l'évidence une manière d'assurer mon avenir et celui de nos enfants. Mais cela ne peut pas se faire sans les agriculteurs, dans un bureau, ex-vivo par des bureaucrates et encore moins à coups de slogans culpabilisants ou de réformes punitives. L'écologie ne peut pas être l'ennemie de l'économie agricole. Elle doit en être la boussole et non le couperet. Le procès fait à l'agriculture française actuellement est à charge, caricatural, et dangereux pour notre modèle agricole, notre souveraineté alimentaire et, au final, notre démocratie
Éléonore : oui mais l'écologie est un sujet de société qui préoccupe les citoyens inquiets pour leur santé, l'environnement, la biodiversité ...
Thierry : surtout inquiets pour leur portefeuille et leur pouvoir d'achat. Les français sont-ils prêts à acheter uniquement local, de saison et à des prix plus élevés. Tu ne me feras pas croire que parmi les signataires de cette pétition, certains ne consomment pas des produits venus de l'étranger où ce pesticide controversé est autorisé, ni même que certains ne consomment pas du Nutella, des noisettes turques ou italiennes. C'est de l'hypocrisie ! Cette pétition a été lancée par une étudiante mal renseignée ou partisane. Elle a été amplifiée par des relais souvent extrêmes. La loi Duplomb est du bon sens face à la concurrence déloyale que nous subissons. Et je ne parle pas de la concurrence asiatique, américaine ou du orientale mais de la concurrence européenne. Nous sommes le seul pays parmi les 27 à interdire l'acétamipride dans l'espace Schengen, du moins jusqu'en 2033. Sa réintroduction est dérogatoire et sous conditions strictes, car il n'existe pas à ce jour d'alternative efficace
Éléonore : tu me parles de cette substance dangereuse, tueuse d'abeilles. Einstein disait que si les abeilles disparaissaient de la surface du globe, il ne resterait que 4 ans de survie à l'Humanité. On ne peut pas ignorer le principe de précaution pour nos pollinisateurs. La France s’apprête à empoisonner ses citoyens et à vendre son âme à l’agrochimie. Cette loi est criminelle, un poison pour notre biodiversité, un danger pour l’humanité
Thierry : c'est une mesure ponctuelle et strictement encadrée, pour permettre à certaines cultures, comme la betterave, de survivre face à des ravageurs contre lesquels nous n’avons pas d’alternative efficace à court terme. La transition écologique doit se faire mais elle doit se réaliser sans perdre notre indépendance alimentaire, sans déconnecter nos villes et nos campagnes, sans décourager nos producteurs, sans répondre aux sirènes de la guerre des prix voulus par la grande surface sous couvert de répondre aux attentes des consommateurs mais surtout pour conserver leurs marges car si nous tentons d'aligner nos prix avec des producteurs mondiaux qui ne respectent pas les mêmes normes c'est un combat perdu d'avance. La transition doit se faire avec pédagogie et cette pédagogie doit commencer dans l'assiette du consommateur. Laissons-nous du temps, poursuivons nos recherches agronomes et recherchons le bon sens paysans pour créer de nouveaux outils, repères, poursuivre nos efforts pour que nos aliments proviennent uniquement de France et nos agriculteurs continuent de nous nourrir
Éléonore : il y a urgence. Nous sommes au pied du mur. Nous ne pouvons pas continuer à empoisonner notre environnement et notre santé. Il faut trouver des solutions durables et écologiques immédiatement afin d'appliquer des alternatives durables et écologiques pour notre agriculture. Elles existent ! Nous ne pouvons pas continuer à sacrifier notre santé et notre environnement pour des gains à court terme
Thierry : le temps est maître de tout, il n'est rien dont il ne vienne à bout disait Voltaire. Nous y travaillons ardemment, nos confédérations y travaillent mais arrêtons de croire qu'il existe des plans secrets, des lobbyings, des complots, cela donne du grain à moudre à certains mouvements. En attendant, nos exploitations doivent continuer à survivre. La loi Duplomb est une solution à court terme pour des problèmes immédiats et urgents. Elle lève les contraintes qui pèsent sur nous et est un moindre mal face à la concurrence déloyale ; elle est nécessaire pour maintenir notre compétitivité sans quoi il en sera fini de l'agriculture à la française
Éléonore : et cette loi facilite l'accaparement de l'eau par les agriculteurs à travers les mégabassines, aggravant les tensions autour de cette ressource fragile. Elle encourage l'agriculture intensive et est contestée par la Ligue contre le Cancer, le collectif Nourrir, Greenpeace ...
Thierry : uniquement des organisations partisanes
Éléonore : non pas uniquement, la Confédération paysanne s'y oppose et dénonce ses dérives !
Thierry : certes mais elle est soutenue par la FNSEA et la Coordination rurale, principaux syndicats agricoles français, car elle répond à nos besoins et nos préoccupations en allégeant les contraintes administratives qui pèsent sur nous, notamment en simplifiant les normes environnementales et administratives jugées trop lourdes et trop coûteuses pour nos exploitations agricoles. Nous ne cherchons pas à nous accaparer les ressources, ni à sur-exploiter nos terres, nous cherchons uniquement à survivre, à protéger nos récoltes, le fruit de notre travail et de nos investissements car nous avons fait le choix altruiste de nourrir nos compatriotes. Sur-exploiter des ressources et des terres n'a jamais eu des effets bénéfiques, c'est du bon sens paysan que nous nous appliquons quotidiennement. Croire l'inverse que nous faisons l'inverse est une ineptie. Les mégabassines ne seront pas remplies par l'eau de nos rivières ou de nos cours d'eau détournés comme nous l'entendons régulièrement mais par la pluie tombée du ciel
Éléonore : j'entends tes arguments mais tout cela ne peut pas se faire à n'importe quel prix. Nous devons protéger notre santé, notre biodiversité, notre environnement pour les générations futures
Thierry : nous sommes d'accord sur le fond, mais pas sur la méthode. C'est pourquoi, nous devons trouver des solutions qui protègent à la fois les agriculteurs, le consommateur et l'environnement. Cela ne peut se faire qu'en continuant de discuter pour trouver des solutions durables pour l'avenir.
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