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Peut-on déraisonnablement condamner le fromage au lait cru ?

Madame Ophélie Ostermann, journaliste bien-être/nutrition/éducation/société du magazine Madame.lefigaro.fr, vous avez publié le 24/09/24 à 6h un article intitulé « Peut-on raisonnablement donner du fromage au lait cru aux jeunes enfants ? » dans le titre est une interrogation mais qui en réalité sonne comme un avertissement ou même une accusation. En introduction de votre article, vous exhumez deux cas dramatiques d’enfants contaminés par la bactérie Escherichia coli productrice de shigatoxines après avoir consommé du Morbier AOP (forcément au lait cru) en novembre 2023. J’ai recherché vos sources d’information dans votre article, en vain. J’imagine que vous vous êtes appuyés sur des articles de presse, la publication de l’ANSES datant 2022 et l’expertise du Pr François-Xavier Weill pour construire votre article. Vous affirmez dans cet article que « 60% des infections (par E. coli Entérohémorragiques, j’imagine) sont liés à la consommation de fromage au lait cru », que ce risque est maximal si les produits incriminés sont « consommés mal cuits ou crus ». Puis, vous poursuivez en disant que ces produits « ne peuvent être consommés que s'ils sont cuits (comme lors d'une raclette) ou pasteurisés » (par des enfants de moins de 5 ans). Pourtant, aucune étude n’est venue prouver qu’une tranche de fromage à racler fabriqué à partir de lait cru et cuit à domicile n’atteint la pasteurisation à cœur dans le caquelon. Enfin, vous indiquez que les fromages à pâtes dures « comme l'emmental, le comté, le parmesan, le gruyère, l'abondance, le beaufort » sont tolérés. Pour cela, vous vous appuyez sur les recommandations du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (précautions émises le 08/07/2020) qui préconisent de détourner nos enfants de moins de 5 ans, nos aînés et les personnes immunodéprimées de fromages au lait cru (hormis les Pâtes Pressées Cuites - bien évidemment pour des raisons liées à la durée d’affinage et non à la technologie fromagère bien qu’aucune étude hormis celle menée sur du Parmigiano Reggiano AOP ne fut conduite à ce jour). Comme toute journaliste qui se respecte vous avez sûrement consulté l’avis originel de l’ANSES relatif aux modalités de maîtrise du risque lié à la présence de dangers microbiologiques dans les fromages et autres produits laitiers fabriqués à partir de lait cru datant du 19 janvier 2022. Cet article argue que le chiffre de 60% que vous citez « ne peut être interprété comme un indicateur direct du niveau de risque » puisque cet indicateurs ne se base que sur des cas déclarés, avérés et recensés comme tel impliquant un produit de consommation et donnant lieu à un rappel produits. Petit rappel, les fromages et produits laitiers ne représentent en 2021 que 5% des alertes recensées pour les denrées alimentaires (Santé publique France, 2023) et encore nous parlons d’alertes recensées après des épidémies ou des autocontrôles positifs donnant lieu à des rappels produits et non de risque réel). Donc affirmer que le fromage au lait cru est dangereux et dire qu’il n’est pas raisonnable de donner du fromage au lait cru à son enfant est réducteur. Je le redis : ce n’est pas le fromage au lait cru qui est dangereux, c’est le pathogène hébergé dans le fromage.


Je tiens à vous signaler que cette étude exclue de son champ d’expertise les fromages fabriqués à partir de lait pasteurisé ou thermisé mais aussi les laits fermentés. Les données n’ont tout simplement pas été traitées. Ainsi vous vous rendez compte que de très nombreux biais sont présents dans cet avis de l’ANSES. Je vous invite à consulter les Rappel Conso. Pour vous aider dans vos analyses, sachez que si la mention « lait cru » est absente c’est que le lait a subi un traitement thermique. Ainsi vous remarquerez que la plupart des fromages rappelés sont pasteurisés. Les recommandations sanitaires émises par l’OMS puis par l’Etat français ne relèvent donc que de responsabilité juridique face à un risque de TIAC, notamment dans les lieux collectifs de consommation.


Néanmoins, ne pensez pas que je néglige le risque potentiel de la consommation d’un fromage au lait cru pour les publics sensibles mais je n’omets pas non plus la post-contamination que ce soit chez le producteur, l’affineur, le grossiste, le détaillant mais aussi dans le frigo du particulier. Tout comme la contamination est possible à travers un doudou qui traîne dans la terre, un coquillage consommé cru, de la charcuterie ou une viande insuffisamment cuite…nous pourrions multiplier les exemples. Le risque fait malheureusement parti de la vie. Croire que nous pourrions constamment protéger nos enfants est purement et simplement illusoire. Ne pensez-vous pas ?


Je m’éloigne un peu de mes propos et j’aimerais pour conclure cet article revenir sur les données statistiques émises par l’ANSES. Les données statistiques se basent uniquement sur les cas avérés, déclarés et identifiés comme TIAC par les observatoires de la Santé Publique (SpF et CNR) sur la période de 2008 à 2018. Les cas non avérés, non déclarés et non identifiés comme tels n’ont donc pas été pris en compte dans cette étude et encore moins les fromages au lait pasteurisé. Notons que 60% des épidémies avérées, déclarées et recensées de contamination par Escherichia coli productrice de shigatoxines et Entérohémorragiques (6 épidémies TIAC sur 10, engageant la santé de 48 enfants de moins de 5 ans) sur la période 2014 à 2019 impliquait des fromages. Les 4 autres épidémies impliquaient de la viande hachée et des graines germées. Mais ce chiffre ne concerne que les contaminations par Escherichia coli Entérohémorragique productrice de shigatoxines, nous n’évoquons ni Listéria monocytogenes (37% des épidémies recensées), ni Salmonella (34% des épidémies recensées) ni d’autres pathogènes n’impliquant pas le fromage. Seuls 164 TIAC recensés entre 2004 et 2017 sur 3712 déclarés (4,4%) ne concernaient les produits laitiers. Et sur ces 164 TIAC, seuls 34 cas impliqués les fromages fabriqués à partir de lait cru (0,9%).


Pour conclure mon droit de réponse, je vous invite, Madame Ophélie Ostermann, journaliste de Madame.lefigaro.fr, à faire preuve de davantage de rigueur, d’honnêteté journalistique et de croiser vos données avant de publier un article, à moins que votre objectif ne soit de pondre un article racoleur. N’oublions jamais que ce n’est pas le lait cru qui tue mais un agent pathogène invisible à l’œil nu qui peut se retrouver n’importe où, même dans nos réfrigérateurs ou sur nos tables. N’accusons donc pas nos éleveurs ou producteurs de laxisme en terme de mesures d’hygiène puisque la post-contamination est possible.

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