La filière laitière en France est un secteur économique majeur. C’est une chaîne de 298 000 acteurs investis pour embellir et enchanter notre quotidien. Elle englobe la production de lait, la transformation en produits laitiers (fromages, yaourts, beurre, etc.) sur 762 sites de production et leur distribution.
À la base de cette filière, les éleveurs, les invisibles de la chaîne de production laitière ; pourtant leur labeur est à la base de tout puisque ces professionnels agricoles spécialisés dans l’élevage bovin, ovin ou caprin rendent possibles la collecte d’un lait de qualité. En effet, les éleveurs veillent au bien-être des animaux, à leur alimentation, à leur reproduction et à leur santé pour garantir une production laitière optimale. Souvent jetés en pâture à la vindicte populaire, à tord, par les associations de « défense des animaux » pour leur gestion du bien-être animal, ils sont critiqués alors même que l’animal est leur source de revenus, fruit de leur travail. Un animal malade, maltraité, malmené ou sous-alimenté est un animal qui fournit un lait de moins bonne qualité ou en quantité moindre. Leur intérêt n’est donc pas de brutaliser ou d’épuiser un animal, comme certaines associations nous le laissent sous-entendre, bien au contraire. Ne vous laissez pas manipulés par les fossoyeurs d’infox ou d’intox qui souhaitent nous imposer une vision politique de notre société.
Viennent ensuite les producteurs fermiers qui transforment le lait en sous-produits (yaourts, crèmes, beurres, fromages, fromages de lactosérum, etc.). Les producteurs fermiers sont, selon la mention légale du décret n° 2007-628, des producteurs « ne traitant que les laits de leur propre exploitation ». Autrement dit, le lait est issu d’un troupeau unique et transformé sur le site de traite ou à quelques encablures par les éleveurs qui y vivent. Le fromage est donc fabriqué à partir d’un lait qui résulte d’un territoire restreint et d’un savoir-faire spécifique, emblématique. L’affinage peut en revanche être réalisé en dehors de l’exploitation agricole.
Les GAEC, acronyme de Groupements
Agricoles d’Exploitation en Commun, sont des formes juridiques de sociétés civiles associant plusieurs personnes. Selon la mention de la loi n°62-917 du 8 août 1962, les GAEC ont pour objet de faciliter le labeur et de favoriser la collaboration et l’optimisation par la mise en commun des troupeaux, du fruit du travail, des charges et des recettes, des responsabilités avec des réglementations « comparables à celles existant dans les exploitations à caractère familial ». Les associés mettent donc en commun leur force vive et leurs moyens de production.
Les fruitières ou les coopératives sont des espaces spécialisés dans la collecte, la transformation de lait, la vente et la distribution des sous-produits (fromages, yaourts, crèmes, beurres, fromages de lactosérum, etc.). À leur genèse, ces espaces visaient la recherche d’une optimisation de « rémunération des produits et sous-produits » par une division des coûts de collecte, de production et de distribution des produits, une meilleure visibilité et valorisation, un protectionnisme de productions laitières locales et le maintien des savoir-faire traditionnels et patrimoniaux. Elles jouaient donc un rôle économique, social et sociétal majeur et étaient régies par des principes forts tels que l’adhésion autonome et volontaire aux principes et aux projets collectifs constitutifs de la coopérative, l’exercice de la démocratie, la détention équitable de parts de capital social et la distribution équitable des dividendes liés au bénéfice de la coopérative. Ainsi, les associés coopérateurs restaient solidaires et décidaient collectivement des stratégies productives, commerciales, mais également financières lors de l’Assemblée Générale annuelle, puis partageaient au prorata de leur participation les dividendes réalisés par la coopérative. Or, l’entrée des coopératives dans une économie de marché mondialisée entraîna inexorablement une recherche de rentabilité et de pérennisation. Conjointement, l’irruption du marché ultra-concurrentiel déclencha cruellement une course aux prix et contribua à la dépréciation du prix de revient de la matière première puis le partage des charges liées à la volatilité du prix de la matière laitière puisque les prix sont négociés annuellement. Ainsi, dans ce contexte, certaines coopératives davantage préoccupées par leur rentabilité que par la prospérité de leurs associés-coopérateurs ne payaient ni les éleveurs-producteurs de lait au juste prix et ne distribuaient plus les dividendes annuels mis en réserve pour préserver un patrimoine collectif transgénérationnel. C’est ainsi que certaines coopératives changèrent de paradigme et devinrent progressivement des sociétés capitalistiques et développèrent des filiales qui donnèrent accès au capital collectif des investisseurs extérieurs, industriels ou financiers plus enclin à prêter de l’argent que les banques frileuses à accorder des crédits à des collectifs. C’est ainsi que certaines coopératives s’éloignèrent subtilement de leurs idéaux initiaux et de leurs fonctions originelles. Ce n’est bien évidemment pas de le cas de toutes les coopératives, ni de toutes fruitières. Dans la filière Comté AOP, par exemple, les fruitières restent des attachées aux principes de solidarité et de fraternité. Distinguons donc ces 2 termes structurellement et lexicologiquement. Le décret n°2013-1010 précise que les fruitières transforment le lait dans des « conditions et selon les techniques traditionnelles, quotidiennement ou bi-quotidiennement, à partir de lait cru (assemblé au point de coulée) […] issu de deux traites consécutives maximum. Le lait doit être emprésuré dans un délai n’excédant pas la fin de la demi-journée qui suit la dernière traite ». Le terme fruitière est donc plus restrictif et exigeant que la coopérative.
Les manufacturiers regroupent l’ensemble des opérateurs laitiers qui procèdent à la transformation artisanale (artisans) ou mécanisée (industriels) du lait collecté dans de nombreux élevages. Par opposition aux fermiers, les manufacturiers transforment un lait de mélange provenant de multiples troupeaux. Les artisans ne doivent pas être confondus avec les industries laitières puisqu’un artisan, pour être inscrit à la chambre des métiers et de l’artisanat, doit justifier que plus de 50% des opérations sont réalisées à la main et non par des machines. Généralement, ces fromageries respectent les règles de fabrication traditionnelles et le fabricant sélectionne son lait dans des fermes avoisinantes. À la différence, les industries laitières utilisent une grande quantité de lait, généralement pasteurisé, pour produire des fromages stables sur le plan bactériologique et répondant à des standards organoleptiques (régularité dans le format et homogénéité dans le goût) pour garantir des produits sains et sûrs pour la consommation à grande échelle, vendue en grande surface. Généralement, ces normes et standards sont plus restrictifs et définis par les acteurs de la grande distribution qui ne désirent pas prendre le moindre risque d’un rappel produit ou pire d’une Toxi-Infection Alimentaire Collective. Les grands groupes industriels sont en France Lactalis, Danone, Savencia, Bel, Laïta, Triballat et Maîtres laitiers du Cotentin. Ces grands groupes détiennent de nombreuses filiales pour diluer les risques financiers sur tout le groupe en cas d’incident financier mais également pour rendre illisible aux yeux du consommateur la filiation de certaines marques célèbres avec ces grands groupes.
Les livreurs sont des professionnels chargés de la collecte de lait dans les fermes, le transport dans des tanks à lait maintenu à 4C pour limiter le développement des micro-organismes et ainsi assurer une sécurité sanitaire puis la livraison chez les coopératives ou les manufacturiers. Pour y parvenir, le chauffeur-livreur recueille le fruit du travail des éleveurs-producteurs laitiers chaque jour, suivant un circuit de tournée défini, avant de retourner à la coopérative ou à la laiterie avec leur camion isotherme rempli. Ce métier est très exigeant car les chauffeurs-livreurs assurent la traçabilité du lait collecté, les premières opérations de contrôle qualité tout en respectant des délais de livraison astreignants. Dans certains pays, notamment anglo-saxons, le métier de livreur de lait consiste également à livrer le lait directement sur le lieu de domicile du particulier. On les nomme des milkmen. Ce métier ancien, disparu en France, à l’arrivée des grandes surfaces, consistait à fournir des denrées périssables déposées aux portes des maisons tôt le matin. Les milkmen jouaient un rôle essentiel dans la chaîne d'approvisionnement alimentaire, assurant une distribution efficace et régulière du lait à une époque où les systèmes de réfrigération modernes n’existaient pas.
Les ramasseurs ou grossistes sont les descendants des coquetiers. À la fin du XIXe siècle, face au développement croissant des centres urbains et au rayonnement des marchés des grandes villes, un métier fit son apparition : celui de coquetier. Les coquetiers ramassés les produits de la basse-cour (fromage, œufs, volailles, chevreaux, lapins, etc.) dans les fermes avoisinantes pour les revendre sur les marchés des grandes villes. Or, sur la période fin du XIX début du XXe siècle, un mouvement socio-philo-médical revendiqua un retour à la Nature dans les milieux bourgeois afin de rompre avec la croissance industrielle. Ainsi, face aux défis d’une demande urbaine croissante, certains coquetiers se spécialisèrent dans cette activité. C’est ainsi que les BOF, acronyme de Beurres-Oeufs-Fromages, loin d’être une onomatopée, désigna progressivement les lieux de vente urbains de produits ramassés dans les fermes de nos campagnes. Les métiers de fromager et de crémier, aux exigences distinctes, se distinguèrent : l’un désignant les personnes qui fabriquent des fromages, l’autre les commerçants qui vendent des produits laitiers ; l’un sollicitant des compétences technologiques empiriques et théoriques, l’autre requérant des compétences élocutoires et oratoires. La Fédération des Fromagers de France estime à 3400 crémiers en France en 2020. Pour un service rigoureux, précis, des réponses justes et un souci majeur du respect des règles de l’hygiène et de traçabilité, recherchés des fromagers formés dans les IFOPCA, les ENIL ou détenteur d’un CAP Crémier. En effet, ces 3 professionnels adapteront leurs connaissances caseologiques à vos attentes et de vos besoins, vous suggéreront des produits adaptés et vous proposeront une mise en récit technico-poétique du produit.
Les grossistes sont parfois organisés en coopératives d’achat. Ces coopératives d’achat regroupe des professionnels qui ont décidé de collaborer et de travailler ensemble afin de mutualiser les achats et de générer des tarifs concurrentiels du fait de l’effet de massification. Les achats sont alors regroupés dans une structure logistique dont les coûts d’entretien et de fonctionnement sont divisés par le nombre d’adhérents. Ainsi, les entreprises adhérentes deviennent plus performantes et peuvent concurrencer la grande surface. Ainsi, le consommateur, qui scrute les prix, dans un contexte où le pouvoir d’achat est en berne, y trouvera des produits de qualité, non uniquement industriels (comme en grande surface) mais surtout fermiers et artisanaux à des prix attractifs. Le principe fonctionnel reste le même que les coopératives citées plus haut : les adhérents ont un pouvoir décisionnel et détiennent des parts sociales de la coopérative. Seul bémol, puisque les locaux ne sont pas extensibles, les produits que vous trouverez chez les adhérents restent les mêmes à moins que votre crémier n’emprunte d’autres réseaux d’approvisionnement.
Enfin, les affineurs généralistes ou spécialisés sont les derniers acteurs qui interviennent sur la matière. En tant que spécialiste de l’Art d’affiner les fromages, il maîtrise à la perfection les leviers (température, hygrométrie, vitesse et composition de l’air, luminosité, temps, disposition des fromages), les matériaux ou les actions mécaniques (retournements, lavages, frottages, brossages, morgeages, mitages, fumage, sanglages, enrobages) visant à transformer un fromage « à blanc » en fromage consensuel. Pour cela, l’affineur supervise le processus d’affinage, déplace les fromages dans des chambres aux atmosphères différentes, retourne et procède à des soins afin de valoriser les qualités et de sublimer les qualités organoleptiques et structurelles des fromages mis en pension. Tel un réalisateur, l’affineur interviendra sur le choix du décor,
le type de soins à effectuer et leur récurrence, mais également sur les conditions atmosphériques de la cave d’affinage pour favoriser certaines espèces microbiennes et entraver d’autres. D’un certain point de vue, l’affineur décidera d’actionner certains paramètres et d’en suspendre d’autres afin que les flores d’affinage présentes expriment leur potentiel et laissent leur empreinte dans le produit final. Toutefois, bien que les affineurs soient des enchanteurs modernes, des alchimistes du quotidien, ils restent dépendants du travail d’excellence accompli en amont. En effet, sans la présence de microflores d’affinage dans la caillebotte et sans une matrice de qualité, les affineurs ne pourront pas accomplir leur magie. Les véritables acteurs d’affinage restent les microflores qui digèreront lentement le contenu matriciel. Autrement dit, au gré du temps, le contenu matriciel se simplifiera et le contenu organoleptique se complexifiera.
Pour conclure, n’oublions jamais que tous les acteurs de la filière, que ce soit l’éleveur, le producteur, le livreur laitier, l’affineur ou même le consommateur qui respectera les consignes de conservation et de dégustation des fromages, sont liés les uns aux autres dans un maillage de solidarité et d’interaction allant de la fourche de l’agriculteur à la fourchette du consommateur (quels que soient leur niveau d’implication, leurs fonctions, leur rôle ou leur niveau d’action sur la matière lactée).
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