La notion de terroir est une notion difficile à comprendre et à saisir, qui traduit la passion française pour ce mot. Pour exemple, le terme de terroir, notion complexe et typiquement française, est intraduisible dans d’autres langues : en allemand, Erdboden, Boden ou Ackerland ; en anglais, soil ; en italien, Suolo, Terreno, Territorio ; en espagnol, Tierra, Terreno, Terreño, Comarea ; tout un ensemble de mots désignant un sol, une terre arable, un pays natal. Cette difficulté tient au fait que la notion de terroir est une notion abstraite, polysémique et que ce mot-valise n’a pas été franchement défini par les auteurs. En effet, en fonction de l’angle et de l’objectif poursuivi, les auteurs définissent ce mot distinctement et en fournissent une grille de lecture capable de répondre à leurs ambitions. Or, ce concept, entré dans la connaissance collective, est de plus en plus usité et paradoxalement ses contours deviennent de plus en plus flous et poreux puisque sa portée symbolique et marchande va bien au-delà d'une simple notion savante. Or, nous pouvons nous demander d'où provient ce goût pour le "terroir", d’où provient cette passion française pour une notion aussi abstraite que complexe. Ce goût est sûrement le fruit d'une longue stratification historico-politico-économique, fruit d'une alchimie propre à notre culture. Nous tenterons dans cette trilogie de poser les bases de ce concept, de voir ce qu’il englobe et de comprendre les enjeux historico-politico-économiques qui s’y cachent et évoluent au gré du temps.
Tout d’abord, étymologiquement, le terme de terroir dérivé du latin « territorium », désigne une terre en tant qu’elle produit des « fruits ». Selon le CNRTL (2018), le terroir peut être défini comme une « étendue de terre présentant une certaine homogénéité physique, originelle ou liée à des techniques culturales (drainage, irrigation, terrasses), apte à fournir certains produits agricoles ». Cette première définition décrit un terme par lequel l’analyse de l’espace rural est rendu possible grâce aux spécificités agraires qui s’y déploient. Cette première définition est insuffisante puisqu’elle ne prend pas en compte les facteurs environnementaux, climatologiques, agronomiques et liés à l’élevage.
Dans la suite, le CNRTL (2018) précise que le terroir se rapporte à une « région, province, pays considéré(ée) dans ses particularités rurales, ses traditions, sa culture, ses productions et du point de vue du caractère des personnes qui y vivent ou en sont originaires ». Ici, la notion de terroir est perçue au sens géographique de « pays » et et au sens sociologique de « secteur ». Or, le territoire ne suffit pas pour définir un terroir car le terroir est le témoin d’une différence qu’un produit veut bien révéler par rapport à un autre. Ainsi, quand on définit un produit de terroir, il faudrait lui associer sa zone de production, le nom du producteur, la période de fabrication et bien d’autres facteurs que nous tenterons d’énoncer dans le prochain article.
Plus tard, l'UNESCO (2005) proposera une définition de ce concept, pour qui le terroir est "un espace géographique défini par une communauté qui construit au cours de son histoire un ensemble de traits culturels distinctifs, de savoirs et de pratiques fondés sur un système d'interactions entre le milieu naturel et les facteurs humains. Les savoir-faire mis en jeu révèlent une originalité, confèrent une typicité et permettent une reconnaissance pour les produits ou services originaires de cet espace et donc pour les hommes qui y vivent. Les terroirs sont des espaces vivants et innovants qui ne peuvent être assimilés à une seule tradition". Bien que cette définition ait le mérite d'exister sur le plan international, elle néglige le lien du produit avec son terroir puisqu'ici est évoqué uniquement les compétences spécifiques de la communauté humaine et les contraintes physiques de l'espace en oubliant les potentialités du milieu et des vecteurs (animaux et végétaux).
L’INAO (1984), acronyme d’Institut National des Appellations d’Origine, s’est laissé tenté par cette volonté de produire une définition qui fasse consensus. Selon cet organisme, le terroir est « un système au sein duquel s’établissent des interactions complexes entre un ensemble de facteurs humains (techniques, usages collectifs), une production agricole et un milieu physique (territoire). Le terroir est valorisé par un produit auquel il confère une originalité » ; par originalité, entendons typicité. La typicité fromagère provient à la fois du spectre bactérien propre au terroir que l'on nomme microflore indigène, à la structure physico-chimique du lait et plus tard du caillé, du taux de protéines, de matières grasses, de glucides, de vitamines, d'oligo-éléments et la variété de l'ensemble de ces constituants. Pour ainsi dire, pour l’INAO, le terroir désigne pour la combinaison entre un milieu local et un savoir-faire qui donnent des spécificités à une production. Cette définition reste incomplète car l’animal qui s’adapte à son environnement, valorise une herbe et exprime toutes les subtilités du terroir dans son lait est négligé ici alors que cet intermédiaire tient un rôle prépondérant. Il en est de même pour la définition de Lebeau (1969) pour qui le terroir est « une étendue de terrain présentant certaines caractéristiques qui l’individualisent du point de vue agronomique dus à ses qualités physiques (relief, climat, exposition, sols) et aux aménagements entrepris par l’Homme ».
Pour la suite de notre article, nous préférerons la définition fournie par Rouvellac (2005) pour qui le terroir est « la plus petite unité taxonomique, homogène à tous les points de vue, et cartographiable à grande échelle ». Pour ainsi dire, le terroir devient une grille de lecture de la différenciation des territoires venant souligner l’existence d’un ancien pays avec des des spécificités historiques, géographiques, économiques, sociologiques voire ethnologiques, géologiques, topographiques, climatiques, agronomiques, mais aussi en terme d’élevage. En outre, le concept de terroir dépasse largement les frontières linguistique de la notion de « territoire » en invoquant l’épaisseur du temps et en attribuant un autre sens à la relation au lieu.
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