Nous avons vu dans le post précédent "Pourquoi le lait est blanc ?". Nous apporterons aujourd'hui une petite nuance pour contrarier l'expression "blanc comme du lait". En effet, cette expression est en partie inexacte et tout ce que j'ai pu vous raconter précédemment l'est tout autant.
Comme nous l'avons dit, la couleur du lait dépend des éléments nutritifs qui le composent, autrement dit de la réflexion de la lumière par les molécules. Mais pas uniquement ! La couleur du lait dépend également d'un pigment végétal, précurseur de la vitamine A, digéré par les vaches et transféré du bol alimentaire vers le lait : le bêta-carotène. Ce pigment caroténoïde (en référence à la couleur des carottes) pare le lait et la pâte des fromages d'une légère coloration dorée en s’attachant à la matière grasse du lait. Seule la matière grasse du lait de vache capte le bêta-carotène, c’est pourquoi seul le lait de vache prend une coloration dorée. Faites en l'expérience en comparant un verre de lait de vache avec un verre de lait de chèvre ou de brebis. Ce premier sera plus ou moins beige. En comparant, à présent, les pâtes des fromages au lait de vache avec ceux au lait de brebis ou de chèvre, cela devient encore plus évident. Ainsi, nous constatons, à l'évidence, que la couleur du lait varie d'une espèce à une autre, et par la même, d'une race à une autre, d'un individu à un autre.
Par ailleurs, le bêta-carotène est naturellement présent dans les feuilles des fleurs sauvages qui parsèment le tapis des prairies d'herbes grasses fortement arrosées ou dans les fourrages verts fraîchement coupés. Cette molécule, fragile, se trouve dégradée dans l'alimentation séchée (foin) ou fermentée (ensilage de maïs). Partant de cette observation, nous pouvons presque deviner ce que les vaches broutent en observant la couleur de la pâte des fromages. A l'exemple des fromages fabriqués à partir de laits de printemps (première floraison), d'été, particulièrement ceux d'alpage, et de regain (dernière floraison d'automne) auront une pâte de couleur jaune-orangée. Cet indice visuel nous signalera que les vaches ont brouté une herbe fraîche et grasse, botaniquement diversifiée. In extenso, nous pourrons prétendre à un fromage aromatiquement généreux puisque cet indice visuel viendra signaler la qualité des fourrages distribués aux vaches. De plus, les études scientifiques démontrent que les laits d'été semblent être associés à une proportion plus faible d'acide gras saturés (généralement surnommés "mauvais gras") compensée par une proportion plus élevée d'acides gras mono- et poly-insaturés (entre autre Oméga-3) ayant des propriétés anti-oxydantes.
Bien que cette vue d'esprit soit particulièrement séduisante, il est laborieux d'en tirer des conclusions hâtives nous conduisant à dénigrer les laits d'hiver au profit des laits d'été ou de printemps-automne. Premièrement, sans dénier les bénéfices à la santé associés au lait d'été, ajoutons que les laits d'hiver sont généralement plus riches en calcium, élément indispensable à l'acquisition du capital osseux, en prévention de l'ostéoporose et des fractures qui jonchent la vie. Deuxièmement, bien que les fromages au lait d'été soient majoritairement plus marqués sensoriellement parlant, les fromages au lait d'hiver développeront des profils aromatiques et des textures distinctes. Il est donc faux de dire qu'il existe un lien de causalité direct entre la qualité des fourrages et les qualités sensorielles d'un fromage. En effet, la saisonnalité et l'alimentation des animaux n'est qu'un levier parmi tant d'autres que l'éleveur laitier ou le fromager peut actionner pour valoriser son produit final. Troisièmement, le réchauffement climatique oblige de plus en plus d'éleveurs laitiers à monter en altitude pour pouvoir paître leurs animaux. L'explication se trouve dans l'amenuisement des espaces herbagers au gré du temps. Certains, pour des raisons géographiques, logistiques, économiques ou pratiques se trouvent parfois obligés de nourrir leur bétail au foin en été. De la sorte, l'alimentation des bovins au foin n'est plus l'apanage des laits d'hiver. Pire encore, à l'avenir, la couleur jaune-orangée deviendra exclusivement un indicateur de lait de printemps ou d'automne. Quatrièmement, gardons à l'esprit que le bêta-carotène se dégrade au gré du temps. Ainsi, sous l'effet de la luminescence, la couleur dorée n'est plus un indicateur discriminant. Autrement dit, les fromages séchés ou affinés perdent progressivement leur pigmentation caroténoïde. Dernièrement, le bêta-carotène est parfois utilisé comme additif alimentaire par certains industriels sous la dénomination E160a ou E160b pour booster la couleur de la pâte ou de la croûte de leur fromage et le rendre plus élégant.
En conclusion, pérénisons une agriculture à échelle humaine en privilégiant des produits laitiers avec une qualité forte de liaisons à leur terroir d'origine, fabriqués dans le respect du bien-être animal et en achetant des fromages tout au long de l’année et non exclusivement des fromages au lait d’été.
Puisque cet article est venu questionner ce que vous pensiez être évident et que vous me donnez l'impression d'être perdu dans les méandres fromagers, un petit conseil : lors de votre prochain festin, informez votre fromager de la gamme aromatique que vous souhaitez associer à vos plats ou mets, ce dernier vous guidera vers un lait d'hiver, d'été, de printemps-automne.
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